Dans mon travail, j’interroge les manières dont une matière souple, une masse informe peut prendre corps, tenir debout et habiter l’espace.
Je tisse la matière de mes installations avec des fils très fins, dans un temps infiniment long, mais la technique du tissage me permet avant tout de questionner des possibilités structurelles. En croisant des fils de coton en chaîne et des fils de cuivre en trame, j’hybride deux matériaux antinomiques, l’un souple, l’autre rigide. Le métal fixe les plis, la fluidité et le mouvement organique de la matière. Il lui permet de s’élever et de devenir sculpture.
Pour les grands formats, des tiges de métal sont cousues sur toute la surface du tissage. Elles sont suffisamment flexibles pour s’intégrer à la matière et assez épaisses et solides pour la maintenir debout. Lorsque je mets en forme la sculpture, tout mon corps est engagé de façon presque performative pour soulever cette masse informe, chercher un point d’appui et trouver un équilibre. Le travail se caractérise par une absence de contrôle des formes qui émergent, qui ne sont jamais prédéfinies. La matière devient presque vivante, elle a son autonomie propre.
Toute une partie, étalée au sol, sert d’assise pour la zone qui s’érige. Grâce au métal, la matière résiste à la gravité mais elle est quand même emportée par le poids du tissage qui l’entraîne vers le bas. L’hybridation du métal et du coton fait émerger le mouvement de la sculpture qui se traduit par une tension, une lutte pour tenir debout. Elle est toujours présentée dans un état intermédiaire, à la limite de s’écrouler.
Toutes les formes sont éphémères, figées momentanément dans un lieu. Dans chaque nouvel espace, la matière s’adapte, se transforme, se replie ou se déploie. Elle trouve un nouvel équilibre qui n’est jamais le même. De cette base tissée, découle des possibilités infinies et les instantanés de la photographie permettent d’en garder une trace :
« Certains y verront une vague houleuse, une faille terrestre ou la concrétion d’une mue fossilisée. D’autres, une vague encore, une onde conductrice, un flux matérialisé, une texture de temps, le sentiment de l’impermanence, un infini… Car la pièce ainsi sculptée, figée dans une pose éphémère, « tenue dans un état d’incertitude », est énigmatique, ni figurative, ni abstraite. Il y entre du paysage, de la mer, du rythme, de la stratification, du sédiment, des filaments de lumière entre les plis. Un temps du lointain, un espace des profondeurs. »1
1 Marie Gayet, Faire émerger une forme, texte écrit pour accompagner la restitution de résidence Coup de Pouce de Sarah Krespin à L’H du Siège – Valenciennes / Juin 2024